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Au Sommet du Chateau d'Eau
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Au Sommet du Chateau d'Eau
9 août 2008

Les Contes du Baron Samedi

Chapitre Un : Le joueur de Banjo

Dans le plus petit recoin des espaces marécageux de la louisianne, la fumée s'éléve lentement vers le ciel étoilé. Le marécage est bercé par les bruits de la nuit, et une légére brume recouvre soigneusement les tourbiéres, glisse le long de la lande et remonte vers la cime des arbres pour s'évanouir dans l'obscurité. Le marais est vivant. Pas à la maniére d'une ville, qui voit ses habitnts maussades défiler au travers de gigantesques masures sans but ni convictions, le marais au contraire dégage la chaleur, vive, étouffante, en harmonie avec la vie qui le pénétre, pas brutalement, mais assez sournoisement pour sentir les terribles machoires se refermer.
Le marais vit.

Le petit village de Muddy Creek se niche aux abords de la forêt dense et suintante du bayou. Quelques cabanes en bois disposées au petit bonheur, un chemin de terre et une taverne, voilà ce que les habitants du coin trouvent rassurant. Le vieux MacFiggan titubait le long du sentier, braillant plus que chantant une vieille contine irlandaise qui lui remontait de sa plus petite enfance. Il repensa a sa nounou, et, curieusement, rougit. Il se mit a désirer sur le coup une paire de cafés. Oui, voilà ce qu'il lui fallait. Dans la nuit profonde du bayou, le juge MacFiggan ressemblait à un culbuto absurde vêtu de noir et sumonté d'une perruque blanche. L'obscurité l'enveloppait.
Arrivé devant son porche, se tenant péniblement à la rambarde, il entreprit l'équivalent métaphysique d'une escalade de l'everest une main dans le dos en portant sa femme sur les épaules. Et c'est pendant qu'il cherchait le trou de la serrure que ses clés lui glissérent des mains.
"Hello, msieur MacFiggan!"
Le juge releva prudemment la tête. C'était le gamin. Oh, plutôt un bon gars, dans l'ensemble. Bien aimable, droit comme il faut. Dame, ce n'était pas le coeur qui lui manquait, se disait souvent le reste de la communauté. Mais plutôt...Et suivaient les raclements de gorge et une soudaine admiration pour les chaussures. Le gamin était rêveur, voilà tout. Il ne travaillait pas, et lorsqu'on lui posait la question, il haussait les épaules.
"Pourquoi travailler, msieur MacFiggan, alors que le son de mon banjo est tout ce dont j'ai besoin pour vivre?"
Et il avait souri, d'un grand sourire franc et honnête. Malgré la plupart des gars de son âge qui trainaient dans le coin, il n'était pas né de ce qu'aurait apellé le prêtre "une horreur innomable qui mériterait le bûcher si ça ne tenait qu'à moi". Ce prêtre portait une petite moustache, un petit bouc et était aussi maigre et courbé qu'un roseau en plein blitzkrieg. Les autres habitants ne le suivaient pas, mais compatissaient. Il était juste né quelques centaines d'années trop tard aprés l'inquisition.
Le gamin, lui, présentait un visage relativement normal en opposition a ses camarades qui n'étaient souvent que des rangées de dents lorgnant sur leurs cousines. N'ayant pas le banjo dans le sang, il avait dû lutter dur pour apprendre, et, un beau jour, comme d'habitude, c'est venu. Comme tous ceux qui ne prayiquent pas d'instrument de musique, le juge croyait fermement que le gamin était passé de mauvais à bon, sans ressentir le besoin de voir ce qu'il se passait entre temps.
Il hésita un moment, puis rota. "Salut, Conrad."
Celui-ci sourit de toutes ses dents. Il lui agita la main. Le juge grommela, soudain déssaoulé, ramassa ses clés et rentra retrouver son lit. C'est a moitié endormi, pensant à son horrible femme qu'il n'entendit pas le hullulement sourd, grave et entêtant en provenance du bayou.

Conrad abandonna son attention de la porte du juge MacFiggan et se concentra sur son banjo. "Voyons voir, fit-il surtout pour lui même, ne s'imaginant sans doute pas que quelqu'un perdait son temps à l'écouter, qu'est ce que je pourrais bien jouer pour reposer la tête assoupie du pauvre msieur MacFiggan?"
Et il tenta quelques notes. La suite vint toute seule. Une profonde mélopée s'éleva dans le petit village boueux du fond de la Louisianne. Conrad se balançait machinalement d'avant en arriére, prit le temps de remonter son chapeau de paille et chantonna pour la nuit.

Oooon the blue creek...
there's a waiting maaan
Who lost his mind...

Oooon the blue creek
there's a waiting girl
who lost her mind...

But i can save my soul
By lookin'up the sky
and stop drowning myself
In the blue creek...

Well i'm the boy
and i'm the girl
And i can't stop the sun
shining on my mind...

Profondément pris par sa musique, Conrad n'entendit rien. Rien d'autre que le vent d'été dans les branches et la respiration du marais.

Allongé dans sa cabane, le juge MacFiggan se laissait porter par la musique, entrainé dans un monde bleu et scintillant. Les deux points rouges qui s'allumérent devant son visage ne le firent pas réagir. Il n'eut même pas le temps de hurler quand les mâchoires se refermérent sur lui. C'est en rêvant de sa nounou qu'il fit le premier pas vers l'infini.

Conrad se réveilla en sursaut. Emergeant du rêve dans lequel il s'était enfermé, il se retrouva face à une croix en bois plaquée à cinq centimétres de son visage.
" HERETIQUE!! "
Deux villageois saisirent le prêtre par les épaules, gentiment mais fermement, et le guidérent plus ou moins contre son gré à l'écart. Ce lui-ci gesticulait, se débattant comme un beau diable.
"C'est le démon, le démon!!!"
Il fit un signe de croix de ses mains libres, et siffla en direction de Conrad. Ils disparurent deriére une maison.
Conrad vit qu'un attroupement s'était formé devant la maison du juge Mac Figgan. Il cligna des yeux. Une fille lui sauta dans les bras.
"Oh mon dieu, Conrad, je suis si contente de te voir, c'est affreux!"
Elle serrait Conrad suffisament fort pour l'empêcher de respirer. Celui-ci la repoussa calmement.
"Je ne comprends pas, c'est affreux que tu soies contente de me voir?"
Conrad lui lança un de ses plus grands sourires innocents. La fille se reprit
"Je veux dire, Conrad, fit-elle en détachant bien les syllabes, comme lorque l'on s'adresse à un enfant ou un malade mental, que ce qui est arrivé a monsieur MacFiggan est affreux!"
Elle se rejeta dans ses bras.
"Euh, et qu'est ce qui est arrivé à msieur MAcFigga au juste?"
Il lui caressa machinalement les cheveux.
Elle le lacha et le regarda de ses yeux rouges, s'essuyant négligemment le nez avec sa manche.
"Tu...Tu n'es pas au courant?"
Conrad fit signe que non. Elle le prit par la main et le traîna vers l'attroupement. Conrad regarda la fille. Elle s'appelait Lynette, pour ce qu'il s'en souvenait, et bien, elle  avait franchement l'air de son nom. Elle portait de petites lunettes rondes, ses cheveux tressés en deux nattes partant de chaque côté, et portait un tablier bleu. Conrad se dit qu'elle devait sûrement aimer les contes de fée. Il n'avait pas tort. Il avait rarement tort. Malgré les remarques de son entourage, Conrad arrivait à déterminer précisément le caractére d'un individu par un simple regard. Il devinait là ses passions, ses peurs, ses défauts et ses qualités. Jamais il n'avait eu à connaitre une personne, il savait déjà tout de leur vie avant même qu'elles lui aient adressé la parole. Certains auraient vu ça comme une qualité, lui s'en fichait éperdumment. Il pratiquait l'ataraxie comformément comme tous les vrais rêveurs. Il ne s'intéressait aux gens que par politesse.
Il se tourna rapidement vers les bois. Rien. Pourtant, il lui avait semblé... Lynette le tira par la main, l'arrachant à son observation. Il se laissait guider, si ça pouvait lui faire plaisir.
Lorsqu'ils rejoignirent le groupe, Conrad s'aperçut que les gens avaient tous la mine basse et portaient leurs coiffes entre les mains.
"Monsieur MacFiggan est mort, c'est bien ça?"
Lynette poussa un autre sanglot. Les autres baissérent la tête tristement.
Conrad les écarta et pénetra dans la petite batîsse. Il contempla le lit. Vide. Aucune trace de monsieur MacFiggan. Juste, il trembla légérement, une marque de sang qui coulait du lit, serpentait sous la table et enjambait la fenêtre. Conrad regarda au dehors. Les traces se dirigeaient vers le marais.
"Quelle surprise", pensa t-il a voix haute.

Lorsqu'il sortit de la maison, il remarqua que tous les regards s'étaient tourné vers lui. Interrogateurs et pressants. Ils n'avaient pas osé rentrer dans la maison, se dit Conrad.
Il se gratta la nuque, regarda vers le soleil en se protégeant de son chapeau, et sortit, on aurait pu dire d'un air thêatral, mais Conrad aurait sans doute pensé que Moliére était un poisson, et Racine, par défaut, une variété de sapin.
"Mes amis, Fit-il d'un air sombre, le marais..."

La chaleur cognait dur sur le petit village, et les gens priaient presque pour une légére brise. Ce temps chaud et poisseux convenait parfaitement au prêtre qui, tous les dimanche matin, s'emportait dans des discours d'apocalypse et de démons originaux. Le soleil tapait sur tout le monde, mais en atteignait certains plus qua d'autres. L'été étant presque plus prodigieux que le printemps pour les explorations anatomiques avec sa soeur dans le lit de la riviére, le prêtre sortait souvent en trombe du confessional une croix en bois à la main hurlant pour la rédemption de la communauté responsable, selon lui, de la naissance d'une bonne douzaine d'antéchrists. Conrad en venait presque a envier les croyants qui se rassemblaient tous les dimanche matins sous la chapelle en pierre, froide et souveraine. Non sans avoir rempli les oreilles de leurs enfants d'ouate, que ceux-ci n'entendent pas les grossiéretés du prêtre.
"M'est avis qu'on est bien loin de Dieu, ici", lança Conrad à personne en particulier.
Tu l'as dit, pensa quelqu'un au plus profond des marais.

Mais les jours passérent, plus ou moins tranquillement, et, le vieux juge MacFiggan n'ayant pas de famille, ni personne ne tenant réellement à lui, l'histoire fut vite enterrée. Ou plutôt, en accord avec le coin, engloutie. Conrad avait bien essayé de suivre les traces dans le marais, mais cela ne l'avait mené à rien de bien probant. Les trainées de sang étaient emportées dans la viscosité chaleureuse du bayou. Chacun tenait toujours un peu à l'oeil les alentours, beaucoup se signaient en passant devant la maison du juge, mais même le prêtre en était revenu à d'autres accusations. L'oubli trouve bien vite chaussure à son pied dans un petit village comme celui là.
Conrad essaya de s'imaginer à quoi ressemblait physiquement l'oubli, et s'en donna des maux de tête. Il resta sur l'image d'un grand type en costume noir portant des lunettes de soleil, et bizarrement, ne s'en inquiéta pas vraiment. Lynette venait de faire irruption devant lui, l'interrompant presque dans sa mélodie.
"Dis, Conrad, je vais en ville cet aprés midi...Et mes parents ne veulent pas que j'y aille seule... Je dois passer à la bibliothéque.Tu veux bien?"
La jeune fille tripotait sa couette nerveusement.
Conrad compta inconsciemment les points de suspension métaphoriques dans la phrase de Lynette, puis se résigna.
"Mon chapeau est troué sur les bords, fit-il, et le soleil trouve toujours un moyen de me taper dans l'oeil. Je crois que je vais avoir besoin de..."
Lynette sautait déjà sur place.
"Génial! Allons y tout de suite!"
Elle laissa à peine le temps à Conrad de poser son banjo et le prit par le bras. Il s'éloignérent, l'un plutôt surexcité, l'autre plutôt passif.
Lorsqu'ils furent hors de vue, quelquechose sortit discrétement des marais, s'approcha du banjo posé contre le fauteuil à bascule et gratta les cordes, juste pour voir.
Conrad s'arrêta bursquement, mais Lynette le pris plus fermement par le bras et le traîna le long de l'allée.
"Si tu ne te dépêche pas, on va rater le bus!"
Conrad soupira, mais finit par baisser les bras. Sans doute le vent, pensa t-il. Mais sans grande conviction.

La ville offrait beaucoup d'attraits pour les jeunes gens, et c'était suffisant pour que le prêtre interdise quiconque de s'y rendre sous menaces. Selon lui, il aurait fallu s'exiler dans une réserve vivre une vie d'amish et porter des couleurs jaunâtres, sans raison. Bienheureuse l'ouate pour empêcher les enfants d'entendre de pareilles conneries, pensaient les parents. Aprés ils faisaient un signe de croix et une priére, parce que quand même.
Conrad, lui, aimait bien la ville. C'était là qu'on lui avait vendu son banjo, et un stock de cordes suffisantes pour l'hiver. Aussi, les gens ne posaient pas de questions, ne se souciaient pas de vous. Tout le monde pensait à soi, et c'était bien suffisant selon lui. Il jeta des regards autour de lui pour regarder les cafés, les vitrines et les automobiles. Pour lui, ce monde qui avait délaissé le folk et la country pour entrer dans un âge de musiques électriques grinçantes et de danses stupides ne valait vraiment pas le coup. Il lui sourit quand même, par pure habitude.
Lynette ne tenait plus en place, elle voulait aller partout sauf à la bibliothéque. Conrad l'avait prévu. Il n'avait pas la moindre envie de boire un café et devoir supporter leur musique ni d'aller au cinéma. Il n'aimait pas ça. Pour lui, la vie ne dépend que de question de point de vue. Le sien lui convenait trés bien, et il n'avait pas envie qu'on essaye de lui imposer celui d'un autre. Certains auraient dit de lui qu'il était fermé à la nouveauté et aux choses de l'esprit, lui aurait répondu que c'est ce qu'il a trouvé de mieux pour éviter les courants d'air.
"Alors d'abord on va aller au cinéma, ils passent ce film, là, Dracula je crois, et bien Suzie m'en a parlé et alors..."
Conrad avait fait dériver son cerveau bien loin du flot incessant de paroles de Lynette. Il ne sentait même plus son bras. En ce moment, il pensait à une nouvelle chanson, quelquechose de nouveau, de triste et mélancolique, mais à la fois doux et rassurant...Les paroles lui venaient en tête au fur et à mesure, son esprit comblant les manques et travaillant le rythme.
"Un Vampire qui suce le sang, et puis Bela Lugosi..."
Conrad ne connaissait pas Bela Lugosi et s'en moquait bien. Mais le fil de ses pensées fut soigneusement enroulé et mis de côté dans la boite de son cerveau qui convenait lorsqu'il aperçut le chapelier du coin. Il se dégagea du bras de Lynette et se dirigea vers le magasin
"J'en ai pour une seconde", fit-il.
Il la laissa là, au milieu du trottoir à la merci des kidnappeurs, violeurs et assassins dépourvus de goût et poussa la porte de la boutique qui fit du bruit pour lui dire bonjour.
Un vieil homme a moitié chauve, cintré dans un petit costume, caché derriére de petites lunettes, des instruments de mesure sortant des poches souffla au monde entier que les préjugés, c'était ce genre de choses qui n'arrivaient qu'aux autres. Le valet de pied maçonnique décrocha un large sourire derriére lequel on pouvait lire "tire-toi vite d'ici, péquenot, avant de faire peur aux autres clients"
Conrad regarda machinalement autour de lui et vit qu'il était seul dans la boutique.
"Que puhis-je faire pour vous, mhonsieur?"
Conrad regarda l'homme, comme si quelquechose avait essayé de lui brûler l'esprit au fer blanc. C'était dans les mots, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Réflexion faite il se serait sans doute fait mal, alors il laissa tomber.
"Je voudrais un chapeau de paile, le mien tombe en...euh...miettes."
Un autre sourire de la part de l'homme, sous-entendant cette fois qu'il ne s'attendait pas à ce que le péquenot veuille un melon a cinquante dollars.
"Celui là m'a l'air trés bien", dit Conrad, essayant de ne pas prêter attention aux vagues de hane qui le poussaient inéxorablement vers la porte de sortie
-Je le prends, combien?"
Le marchand grommela un prix, et Conrad paya, obligemment. Il posa son vieux chapeau de paille à la place qu'occupait le nouveau et sortit sans se soucier des remarques sifflées qui commençaient a pleuvoir.
Lorsqu'il regarda de l'autre côté de la rue, Lynette était toujours là, regardant dans la vitrine d'un magasin de chassures. Une chance pour tout les violeurs, assassins et kidnappeurs du coin, se dit-il.
"C'est un joli chapeau que vous avez là."
Conrad n'aurait pas reconnu l'amour s'il lui était descendu juste sous le nez, pointant son arc sur ses parties et lui gueulant dessus à la maniére d'un bulldozer.
C'est pourquoi il répondit
"Euh, ouais?"
La femme en face de lui possédait de quoi faire se retourner la population entiére masculine sans même avoir a bouger le petit doigt. De longs cheveux roux, un visage d'ange. Elle portait une longue robe verte moulante qui lui descendait, il sembla à Conrad, en dessous même des pieds. Si ce dernier avait aimé, et connu le cinéma, il aurait alors pu la comparer à une version florale de Vampira. Ce qu'il ne fit pas.
Le femme lui fit un clin d'oeil, puis s'éloigna pour disparaitre au détour d'une rue. Intérieurement, Conrad se demanda si la femme transpirait beaucoup sous sa robe.
Lynette lui attrappa le bras et lui fit la scéne
"Tu crois que je ne t'ai pas vu, hein? a regarder cette..."
Conrad avait déjà décroché. Il avait replongé dans son monde de musique. Rien d'autre n'occupait son esprit.

Dans les marais, une grande figure sombre portant un haut de forme fumait la pipe dans sa cabane, et lisait le journal. La fumée, curieusement, sortait par ses yeux. Du moins, par les orifices qu'on associe couramment aux yeux. Elle ne comprenait rien au charabia que le quotidien racontait, mais riait follement aux bandes dessinées.

Dans l'obscurité froide de la chapelle, le prêtre venait d'une bougie à l'autre, son cache à la main. Voilà un travail reposant, pensa t-il, en cette journé bien chargée. Encore une fois, à l'office du matin, il avait réussi à couvrir de honte au moyen de sous entendus qu'il en était sûr, dieu le pardonne, une jeune fille de la communauté qu'il avait aperçu, il y a quelques jours de celà, embrasser un homme derriére une maisonette. Suite au discours du prêtre, ses parents l'avaient envoyé au couvent et s'étaient mis en chasse de l'homme reconnu par le prêtre, dieu sait s'il faisait noir là ou les deux pêcheurs commettaient leurs abominations, avait-il lancé à la mére, qui avait de suite réservé un chatiment pire que la mort pour le pauvre jeune homme de moins de vingt ans qui viendrait à croiser son chemin la premier avec l'air un peu trop gêné.
Le soleil tapait sur les tempes du prêtre. Dans la commune où il officiait avant, personne ne se serait risqué à commettre de telles infamies. Il venait du nord, et dieu sait si les ardeurs adolescentes sont facilement calmées par un climat gelé. Sous l'épaisse couche de vêtements, c'est tout juste si l'on arrive à se retrouver soi-même.
Il sifflota tout en éteignant les derniéres bougies, et se retourna soudain dans l'une des positions apprise chez les moines combattants d'Alaska. Il avait entendu un autre sifllement par dessus le sien. Plus ténu, plus...tranchant. D'une de ses mains, il saisit une bible d'un banc sur son côté et la pointa droit devant lui.
"Le seigneur exorcisera le démon! Retourne dans les fanges qui t'ont vu naître, rebut des enfers!"
Il resta dans cette position une bonne dizaine de minutes, les phalanges blanchies sur le livre saint. Puis il souffla. Sans doute un produit de mon imagination, se dit-it il, en y croyant vraiment. La croyance, c'était une question d'habitude. Il reposa la bible derriére lui, ne quittant pas l'obscurité de ses yeux inquisiteurs. Rien ne bougea. Puis, quelquechose qui avait fait lentement son petit bonhomme de chemin frappa durement les carillons de son esprit.
"Mais, sur quoi est-ce que j'ai posé la..."
Il se retourna.
"Sainte mére de..."
La nuit l'avala.

Dans son rêve, Conrad se voyait sur un gigantesque bateau voguant sur les mers, ce qui est tout à fait normal, mais entouré de flammes ardentes, ce qui l'est déjà beaucoup moins. Il tenait la barre fermement, et, sans aucune anxiété, traversait les torrents déchainés et zigzaguait au milieu des trainées de feu. Au bout d'un moment, il lança un baillement onirique. Mais soudain, une gigantesques vague s'éleva, portant de chacun de ses côtés deux gigantesque langes de flammes entortillées. Il distingua la forme d'un visage débordant...d'algues?
"CONRAD !"

Ce dernier se réveilla en sursaut, tanguant méchamment d'avant en arriére sur son fauteuil à bascule.
"Gné? Mal de mer..."
Il distingua une tornade de cheveux bruns en furie devant son visage, et se suprit a penser qu'il rêvait encore. C'est pour ça qu'il se rendormit.
"CONRAD!"
Cette fois il se réveilla pour de bon. La forme prenait de la conséquence.
"Salut Lynette!"
Elle le secoua de plus belle.
"Mon dieu, Conrad, c'est horrible!
-Je sais bien que mon nom n'est pas terrible, mais de là à dire que..."
Elle se jeta sur lui et il failli basculer en arriére.
"C'est le prêtre, Conrad, il est...Il est...
-Mort? hasarda le jeune homme
-C'est affreux, reprit-elle en pleurant de plus belle, et en souillant ma chemise, remarqua Conrad.
-Et bien, reprit-il en l'écartant et la maintenant de ses bras, il doit être au paradis. Quelque chose me dit qu'il n'y a pas beaucoup d'infidéles là haut, non? Il doit s'y sentir comme un coq en pâte!"
Une petite voix dans la tete de Conrad lui souffla que le prêtre s'ennuyait sans doute à mort là-haut. Mais, Conrad ne croyant pas au paradis, il décidé de mettre ces images mentales de côté.
"Où est-ce que ça c'est passé?"

Elle le conduisit jusqu'à la chapelle, pleurnichant et reniflant sans cesse. Déjà un groupe de badauds était attroupé devant le parvis, les plus braves essayant de jeter des coups d'oeil timides à l'intérieur. Conrad fit place nette, abandonna Lynette  devant le batîment, et entra dans le saint-sanctuaire. Il n'avait jamais mis les pieds dans la chapelle, et par conséquent fut surpris de la sobriété du lieu. Pas étonnant qu les gens soient concernés à ce point par la mort, dans un endroit si triste. Conrad remarqua les taches de sang sur le sol en pierre. Une bible était posée au milieu. Conrad la ramassa. pour l'avoir suffisament eue secouée sous le nez pendant ces derniéres années, cela ne faisait aucun doute que le prêtre avait tenté de se protéger, voire d'attaquer. Si les symboles sacrés brûlent les démons, alors s'attaquer à un prêtre revient à l'équivalent d'un bain de bouche à l'acétone. Le tueur n'est donc pas un quelconque monstre des basses fosses benu profiter du climat. Mais aprés, pouvait-il en être sûr? Le prêtre était persuadé, pour les objets sacrés et tout le bazar, mais est ce que les démons l'étaient, eux? Aprés tout la seule migraine que lui, l'hérétique, avait jamais reçu de la part de dieu, c'était uniquement le jour ou le prêtre avait décidé de lui cogner sur le crâne avec une vierge Marie en contreplaqué pour l'exorciser. Quel que soit le pouvoir des livres, pensa t-il, ils ne faisaient pas le poids contre une bouche remplie de dents acérées, et capable de...grimper au plafond en soulevant un homme de cinquante kilos sur son dos...
Ses yeux suivaient les traces de sang qui remontaient jusqu'aux charpentes. Cette fois là, le corps n'avait pas été emmené dans les marais.
La créature, d'abord méfiante, prenait de l'assurance. La maison du juge était située aux abords des marais, tandis que la chapelle se trouve de l'autre côté du village, prés du chemin de terre.
Conrad se demanda quand il allait voir la créature de ses propres yeux.

Dans les marais, une haute silhouette noire fumait la pipe, devant son porche. Elle se balançait docilement au rythme du vent. De temps en temps, un bruit mat la forçait à se baisser pour ramasser quelquechose. Puis un bruit, "cloc!", pour laisser place au grincement régulier de la chaise à bascule, se balançant au rythme du vent, et de la musique.

Lynette ne dormait pas ce soir là. Elle était allongée sur son lit, la lumiére tremblotante de la bougie suspendue au plafond lui donnant juste de quoi finir son livre, intitulé : "Le château endormi"
Elle baîlla. C'était son passage préféré. Celui où le beau prince arrivait sur son destrier blanc, coupait les ronces et donnait à la princesse un chaste baiser pour la réveiller. Elle soupira longuement. Elle s'imaginait, elle, chevauchant son destrier blanc, allant sauver son amour dans un chateau ou tout le monde dormait à...Un bruit lui fit relever la tête. Elle regarda par la fenêtre, et vit une forme passer dans la rue. Qui cela pouvait-il bien être à cette heure de la nuit? Encore nimbée par son histoire de chevalier sans peur, elle enfila son manteau, soupesa un tisonnier et sortit dans la nuit épaisse.

Le monde tournait sur lui même. Le soleil se levait dans un coin pour aller se coucher dans un autre, comme on en a vaguement l'idée. Et ce soir là, le tissu de la réalité se déchire lentement, comme de la soie bleue, pour laisser passer la musique. La musique du marais.

Lynette s'avançait doucement dans la nuit, et, au détour d'une ruelle, se plaqua contre un mur. Quelqu'un lui disait que quelque chose allait se passer. Et elle ne serait que spectatrice.

Le rideau des marais s'ouvrit sur un concert de croassements et d'eau sourde. Conrad était assis au milieu de la rue, entre sa maison et celle du juge, d'apparence calme et serein.
"C'est donc vous qui avez pris mon banjo?"
La femme lâcha un petit rire discret. Le genre de rire qui remonte directement dans le creux des reins sans passer par la case oreilles, qui affute les sens. Un appeau à hommes.
Elle s'avança doucement vers Conrad, en ondulant des hanches.
"Vous êtes trés brave, dit-elle en secouant la tête, faisant voler ses cheveux oranges dans la nuit, pour rester seul dehors par cette nuit..."
"Pas la peine de jouer avec moi, dit calmement Conrad, vous savez trés bien ce que je fais ici, et je sais pourquoi vous êtes là"
La jeune femme sourit.
"Je crois avoir deviné, oui...Je crois, que vous voulez venir avec moi...Vous en avez marre de cette vie sans but dans ce trou à rat, et vous n'aimez pas les gens, je me trompe? Mais moi...Je sais que vous pourriez m'aimer. J'y mettrais toute ma volonté..."
Elle s'avançait toujours, en se passant le doigt sur les lévres.
"Vous n'avez pas envie? d'essayer? Je vous promets que vous n'avez aucune idée de ce que je peux faire pour vous."
Conrad se sentait bizarre. Quelquechose brûlait dans son corps. il sentait ses doigts le picoter, et, pour la premiére fois dans sa vie, il n'était plus maître de lui-même.
"Vous voyez? Vous brûlez d'envie...Levez vous, et venez prés de moi..."
Conrad se leva machinalement. Son estomac le torturait. Il ne se sentait pas dans son assiette, mais curieusement, savait que cette tension s'apaiserait dés lors qu'il pourrait toucher la femme. Il s'avança vers elle, essayant de maitriser ses pulsions, mais n'y parvenait pas. Il arriva a sa hauteur. Elle approcha son visage du sien, ferma les yeux. Il les ferma à son tour, conscient que ce qu'il allait faire était mal.
"VOUS ME RENDEZ MON BANJO! MAINTENANT!"
Les mots étaient sortis, le reste suivait.
Conrad lui asséna un violent coup de poing sous la mâchoire, qui l'envoya voler dans les feuillages.
"Pour qui me prenez vous, hurla t-il, vous avez tué ces personnes, et vous m'avez volé ce que j'avais de plus précieux au monde. Vous ne méritez rien! Vous un un horrible monstre, quoi que vous fassiez!"
La femme se releva, la joue rouge, une masse de cheveux roux en bataille. Elle s'avança vers Conrad, cette fois en ondulant le long de son corps. Si c'était une robe, elle n'était pas ordinaire.
"Comment osez vous!? Frapper une femme!"
Elle hurlait désormais.
"Conrad!"
Il se retourna, Lynette lui lança le tisonnier. Il l'attrappa au vol.
Le rire de la femme venait des profondeurs de sa gorge. Un rire mauvais et malsain.
"Tu crois pouvoir me faire mal avec ça?"
A peine avait elle prononcé ses mots que sa bouche s'ouvrit en grand. et s'élargit, de plus en plus Conrad restait là, sans bouger, les yeux fixés vers l'immense gueule qui béait devant lui. Ses jambes refusaient d'obéir. C'était fini. Il ferma les yeux.

Un immense accord retentit dans la nuit. Un accord dissonant, primitif, sauvage. Brut.

Conrad ouvrit les yeux.
La femme serpent, l'immense gueule désormais fermée, gisait devant lui. Il leva les yeux sur une silhouette sombre comme l'éternité. Avec un haut-de-forme.
"Merde", lacha t-elle.
La silhouette laissa tomber les restes du banjo par terre, sortit une canne de sa veste, puis s'ava,ça vers la femme serpent. Elle lui souleva la gueule.
"Si aprés ça, elle comprend pas, fit une voix dans la tête de Conrad.
Celui-ci sentait que ses yeux voulaient lui sortir des orbites, il cligna des paupiéres.
"Je suis le baron samedi, fit l'homme, en quelque sorte le...propriétaire des marais."
Il tendit une main vers Conrad, qui sentait son esprit se déchirer en deux.
Il lui serra finalement la main. Le toucher était froid.
"Excusez moi, fit Conrad, mais, j'ai dans l'idée que vous etes un...
-Oui? fit obligemment le baron
-Un squelette?
Le baron souleva son chapeau et plongea ses orbites dans les yeux de Conrad. Qui ne scilla pas.
"D'accord, fit il, vous êtes bien un squelette. Excusez moi encore une fois, mais, est-ce que c'est...mon banjo?"
Il pointa le petit tas informe posé sur le sol.
"Et bien, des notes de gêne semblaient sortir de la bouche du baron, pas vraiment... Mais, suis moi, je vais tout t'expliquer."

Dans un coin du village, un horrible petit lutin noir ramenait Lynette chez elle. Dieu sait comment, elle s'était endormie.

Ils marchaient d'un pas rapide à travers les marécages, et Conrad peinait à suivre. La où le baron Samedi semblait machinalement flotter par dessus le paysage, Conrad s'enfonçait le pied dans un liquide noirâtre et gluant.
"Vois-tu, commença le Baron tout en marchant, ces marais sont sous mon commandement, ma domination, si tu préféres"
Conrad hochait la tête dans le noir.
"Mais depuis quelques temps, quelqu'un diminue ma prise sur le terrain. Je ne sais ni qui ni comment, mais la créature là n'aurait jamais du sortir de mon domaine."
Le Baron portait la bête sur les épaules. Son énorme mâchoire pendouillait misérablement de son épaule, et se balançait de gauche à droite en rythme. Elle cogna contre un arbre. Conrad détacha son regard de ce phénoméne et cligna des yeux plusieurs fois.
"Ah. Nous y voilà."
Le baron s'approcha de la petite porte et se glissa en dessous. Conrad avança tout droit, se cogna la tête, puis finit par entrer. C'était une petite chaumiére, avec un feu de cheminée, quelques couverts ici et là, une table et deux chaises.
"Assieds-toi"
Conrad obéit, et le Baron Samedi s'installa en face de lui. Il ôta son haut-de-forme et joignit les deux mains sous son menton. Conrad se demanda si on parlait bien de menton quand on décrivait un crâne poli. La réponse temporaire fut oui. sans doute.
"Bien, allons droit au but. j'ai besoin de toi. Et de ta musique."
Le baron sortit ce qui  restait du banjo et le fit pendre lamentablement au dessus de la table.
"On dirait que je ne m'en sors pas trés bien tout seul, reprit il, mais peu importe. Vois tu, le marais réagit trés bien à la musique. Et si je perde mon emprise, toi, tu peux m'aider à la conserver. Et non, fit le baron en voyant la tête de Conrad, tu n'y es pour rien dans ma perte de pouvoir, ce serait beaucoup trop facile. La musique joue un role à part."
Le baron sortit un banjo d'un tiroir et le tendit a Conrad.
"C'est le tien, fit le baron...j'avais besoin d'une base pour essayer de m'en fabriquer un, mais..."
Il pointa un doigt squelettique sur le banjo brisé au milieu de la table
"je ne suis pas trés bon, de toutes façons"
Lorsqu'il sentait un morceau de personnalité du Baron Samedi, Conrad le voyait bêtement glisser entre ses doigts. Mais il n'y avait pas de doutes, le "je ne suis pas trés bon" ne signifie qu'une chose à l'oreille d'un musicien. Il a bien fait d'abandonner, pensa Conrad.
Le baron replia son doigt squelettique.
"Voilà mon offre. Si tu ne m'aides pas, tout le monde dans ton village en pâtira. Je ne peux rien y faire.
-Ca ne me paraît pas vraiment un choix, je serai un monstre si je refusais."
Dans son esprit, une image de cavalier sur son destrier mauve vint flotter mollement. Conrad la repoussa d'un geste de la main.
"C'est d'accord", fit-il.
Le Baron Samedi sourit de toutes ses dents.
"Splendide..."

Dans les marais, plus grand chose ne bouge. Les animaux, les insectes et le reste sentent le changement dans l'air, comme un rythme mélancolique et triste, mais rassurant et reposant.
Le marais vit.
Et il attend le prochain mouvement.

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Commentaires
S
Ce qui serai cool aprés avoir lu cela c'est que l'on se mettent en contact pour l'écriture d'un éventuel scénar, j'ai besoin d'un coup de plume comme le tient! Si ca te dit je te laisse mon myspace<br /> seeyou<br /> www.myspace.com/guillaumebeylard
V
je sais pas si tu comptais nous le faire lire ou si tu as posté parce que j'insistais... mais putain, je remets le couvert: ACTUALISE ENCORE!!!!!<br /> cet extrait est entre les raisins de la colère de steinbeck et cristal qui songe de sturgeon (juste deux bouquins que j'ai trouvés énormes), alors tu me ponds la suite et vite fait!!!<br /> <br /> depuis quand tu trippes sur le baron samedi?
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